L’Étoile des neiges !
En mars dernier, la Levalloisienne Jessica Béchu, 36 ans, a participé, dans des conditions climatiques extrêmes, à la 14ème édition du Baikal Ice semi-marathon, en Sibérie. Au delà de la performance sportive, c’est une véritable philosophie de vie qui guide cette adepte des sensations fortes. Elle n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Portrait.
Par Maxime Douté
“Je me suis réveillée un jour en réalisant que la vie que j’avais ne me rendait pas heureuse. On m’a toujours appris à chercher la protection et la sécurité… Cette base de pensée erronée, ancrée, rendait tous mes rêves risqués. J’ai donc écouté plus attentivement mon moi intérieur et considéré que le risque était de ne pas vivre la vie que je voulais. J’ai osé écouter totalement mes envies profondes, aussi folles soient elles”. Des envies qui, pour la Levalloisienne Jessica Béchu, se sont traduites par des aventures sportives de l’extrême, au sens étymologique du terme, au degré le plus intense. Et pourtant, avant 2010, Jessica n’est pas une passionnée de sport. C’est son compagnon de l’époque qui lance les hostilités devant une diffusion de Pékin Express et la met au défi. “Évidemment que je suis capable !” rétorque t-elle. Sans trop (vouloir) y croire, le couple s’inscrit au jeu télévisé. Résultat des courses, ils participeront aux éditions 2010 et 2012 en terminant demi-finalistes à deux reprises. “Après la 2ème édition, je me rappelle d’une période de grosse déprime, explique Jessica. Ensuite, ma vie a changé, j’ai quitté Marseille et suis montée sur Paris avec ma fille. J’ai trouvé un nouveau job et de nouveaux défis sportifs”. À la recherche des sensations éprouvées dans Pékin Express, la Levalloisienne, par ailleurs adhérente au LSC Boxe Thaï, LSC Plongée et LSC Tennis, multiplie les courses, La Parisienne, tout d’abord, en 2013 et 2015, puis les 10 km Nike et les 20 km de Paris. En 2016, tout s’enchaîne, un autre objectif se greffe à son aventure : “J’avais pris 16 kg. Je pesais 71 kg à 34 ans. Dans ma quête de perte de poids, j’obtiens le soutien d’un sponsor Bulk Powders, une marque de compléments alimentaires”.
PREMIER MARATHON
Un univers de défis se présente à Jessica. Elle va les relever pour donner un nouveau sens à sa vie. Après le semi-marathon de Paris, elle décide de se lancer dans son premier marathon, toujours dans la capitale. Malgré une douleur insoutenable à la hanche dès le 22ème km, elle le boucle en 6h22 grâce au retour de son Capitaine au kilomètre 25. “Quand je l’ai vu arriver, j’ai pleuré ! Au final, je me suis jurée de ne plus faire de marathon et trois jours après je m’inscrivais pour l’édition suivante”, sourit-elle. S’ensuit une multitude d’épreuves, avec notamment le 100 km au Festival des Templiers, puis en 2017, à nouveau le semi-marathon et le marathon de Paris, le semi d’Amsterdam, le Cross du Figaro, le Paris Cabourg en relais sur 238 km, le Marathon de New York, ou encore la course caritative Wings for Life World Run en Pologne. Coriaces, mais pas encore assez pour la Levalloisienne qui se laisse tenter par l’aventure de l’Ice semi-marathon de Sibérie, la traversée du lac le plus profond du monde, le Baikal. Deux jours avant la course, Jessica fait un premier footing, en ville, à Irkoutsk, histoire de prendre la température de
l’événement. “Dès le matin, à la fraîche, à -26 c°”, se rappelle t-elle encore. Deux jours plus tard, le 7 mars, et 70 km plus loin, Jessica est parée pour la 14ème édition du semi-marathon du Baikal. “Trois couches de vêtements sur le haut du corps, deux couches pour mes jambes, des chaussettes warm, un protège visage ne laissant apparaître que mes yeux, un masque de ski (une “braqueuse” quoi…), des gants en soie et des moufles avec le visage enduit de vaseline”.
L’ÂGE DE GLACE !
Il est 10h30 lorsque le départ est donné. Il fait -17 c°, le ressenti est de -25 ! Givrée la Levalloisienne ? L’épreuve a en tout cas de quoi glacer le sang et le décès tragique d’un concurrent par hypothermie, l’an passé, aurait pu refroidir ses ardeurs. Mais Jessica est bien là ! “Les premiers mètres me donnent une profonde angoisse, je m’enfonce dans 10 à 15 cm de neige à chaque foulée”. La mini-pause du premier ravitaillement au 5ème km lui rappelle que la traversée de ce désert de glace n’a rien d’un mirage : “Je suis frigorifiée, le vent fouette et brûle mon visage, j’avale mon thé tel un verre d’eau, je ne sens même pas sa chaleur”. Puis, Jessica poursuit sa progression tant bien que mal : “C’est de pire en pire, je me tords sans cesse les deux chevilles, ça n’arrête plus, j’avance avec la grâce d’un cachalot, je sautille, j’essaie surtout de trouver des techniques pour progresser sans trop souffrir et me blesser davantage”. Puis surgit l’inattendu, alors qu’elle repense au message d’une amie, qui disait : “Peu importe le résultat, c’est déjà incroyable que tu sois là-bas. Contemple !”. La Levalloisienne s’exécute et la magie opère : “Je me suis arrêtée. En face, un merveilleux flanc de montagne, un moment hors du temps, un paysage hors du commun, je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi beau… et surtout j’ai senti à quel point c’était bon d’avoir pris le temps”.
Le temps, il en est encore question, mais celui-ci est moins clément. Une tempête de neige se lève. Les températures ressenties se situent entre -25 et -30 degrés avec un vent à 80km/h. “Le froid me brûle la gorge et les bronches, mon protège visage est cartonné par la condensation immédiatement gelée au contact de l’air glacial”.
UNE ÉTOILE FILANTE SUR LA VOIE LACTÉE !
Mais, elle ne lâche rien et se répète sans cesse : “Yamina (sa fille) va être tellement fière de toi, ton père et ta sœur te regardent de là-haut”. Finalement, le calvaire touche à sa fin. Jessica parvient à terminer son semi, juste à temps, car, derrière, la course est arrêtée à cause des conditions climatiques. Une première en 14 éditions. Dans ce décollage pour l’extrême, Jess ne s’est donc pas brûlée les ailes. Ce n’est pas le cas de tout le monde puisque deux personnes sont brûlées au visage, au 2ème degré et transportées à l’hôpital. Lorsqu’elle passe la ligne d’arrivée, elle s’écroule sur la neige et fond en larmes. Celles-ci ne se glaceront pas au contact de l’air, car elles tirent leur essence de tout ce que la vie peut offrir de plus intense. Au royaume des glaces, la Levalloisienne est reine, puisqu’elle remporte l’épreuve,
ex-aequo avec une Russe en 2h56 mn et 23 s. Si, avec ce semi-marathon du Baikal, elle admet avoir atteint son extrême limite, c’est avec grand plaisir qu’un jour, à nouveau, elle s’en ira courir dans son paradis blanc….