Baïkal International Ice half marathon : le retour aux sources.2012
dimanche 3 juin 2012
Baïkal International Ice half marathon : le retour aux sources.
Je me rappellerai toute ma vie du jour où j’ai appris l’existence du marathon du lac Baïkal : c’était le 30 août 2009 quand Gilles me ramenait de mon 1er trail (dans un état assez pitoyable d’ailleurs…). En faisant plus ample connaissance je raconte à Gilles que je suis originaire d’Irkoutsk, à 60 km. du lac Baïkal. Gilles me dit alors qu’il existe le marathon du lac Baïkal qui se court sur la glace, 42 km. d’une rive à l’autre.
Quoi ? Comment ? Cette course existe là bas et je ne le sais même pas ?
Oui, c’est ici que j’ai passé 2 tiers de ma vie ; je suis née, j’ai grandi, fait mes études ; eu la chance extraordinaire en tant qu’interprète d’accompagner en septembre 1990 l’équipe française de MC4 qui tournait le film sur l’expédition de Nicolas Vanier et traverser le lac Baïkal sur un petit bateau du sud au nord (environ 600 km.) et ensuite en novembre pendant leur préparation de l’étape chiens en traîneau.
C’est ici aussi que j’ai rencontré l’homme de ma vie qui est venu à l’époque faire une expédition en motoneiges. Je l’ai suivi il y a quinze ans en partant pour toujours en France et laissant derrière moi amis et famille.
Bref si je ne devais faire qu’une course dans ma vie (ce qui me tient à cœur maintenant) c’est bien ici. Seulement passer du rêve à la réalité, même si c’est votre patrie, n’est pas évident dès fois.
En 2009 je me retrouve au chômage, il faut trouver du travail, travailler suffisamment pour avoir les vacances et les obtenir à la période voulue, beaucoup de pièces du puzzle pas faciles à réunir. Mais comme diraient certains, quand j’ai quelque chose dans la tête, je ne l’ai pas ailleurs.
Enfin je peux envisager ça pour le 3 mars 2012.
C’est là que je commence à m’intéresser de plus près aux conditions, éplucher les photos, vidéos et articles que je trouve sur le net.
Oh my good, malgré la facilité apparente ce n’est pas facile du tout. Malgré l’absence du dénivelé tant positif que négatif, ce marathon se court par températures de 0 à -15°, vent très fort probable (qui vous gèle et cloue sur place). Surface : neige damée mais parfois profonde (comme l’année dernière où les concurrents ont couru les 1ers 7 km. dans 30 cm. de neige dus à la tempête de la veille) et parfois glace non couverte de neige : la patinoire.
Vu mes capacités de tortue, de longues tergiversations commencent : pourrai ? pourrai pas ?
Bien m’en a pris de mettre mon nez dans les bases d’athlé de la FFA pour voir les chronos de quelques français et voir leurs résultats en France et ici. Wahou ! 4h00-4h15 en France et 6 heures ici ! Je doute fortement qu’ils mettent 6h00 rien que que pour la beauté du paysage… Il faut me rendre à l’évidence qu’avec mes + de 5h00 aux marathons, c’est presque de l’utopie. Et je ne veux absolument pas être ramassée par un overcraft ou un motoneige balai (aussi exotiques qu’ils soient, ces moyens de transport), lol ou être classée hors délai. Pas sur cette course là.
Je choisis finalement la décision « sage » : le semi marathon.
D’autant plus qu’ils sont très marrants les organisateurs russes : temps limite semi : 4h00, temps limite marathon : 6h00. Serait-ce pour permettre aux « plus faibles » de terminer au moins le semi tant bien que mal ? Suspect tout ça…
Le 26 février à 5h50 du matin, après environ 12 heures de voyage, l’avion me dépose sur le sol natal (la dernière fois date de 4 ans et ½).
J’ai beau ne pas être nostalgique pour un sou, à chaque fois les larmes me montent aux yeux : les souvenirs remontent en pagaille à la surface, c’est dur de trouver ma maman de plus en plus vieillie à chaque fois ; surprenant de trouver la ville incroyablement changée à chaque fois, rentrer chez moi et… ne plus me sentir chez moi… Bref…
J’ai pu faire mon 1er entraînement de rando-course mardi sur l’immense baie de l’Angara, crée par la centrale hydroélectrique en 1957.
Quand je pars, la météo est clémente, il fait -10° avec du soleil et je n’ai pas froid. Je cours d’abord sur la route de glace, la neige est damée par les voitures, c’est facile. En ce moment je regretterais presque de pas être inscrite sur le marathon. Ensuite je quitte la route damée et essaye de courir dans la neige qui paraît dure au 1er abord. Les pieds s’enfoncent jusqu’aux chevilles. Sur le chemin de retour se lève le vent et une tempête de neige. Je lève ma cagoule sur le nez mais les lunettes se remplissent de buée. Là je déchante vite fait : si la météo est ainsi au lac Baïkal, rien que terminer le semi ne va pas être une mince affaire.
Le vendredi 2 mars vers midi, avec ma maman, on va à Listvyanka, le village situé au bord du lac Baïkal, à 60 km. d’Irkoutsk, pas loin de l’embouchure de l’Angara.
Nous nous payons le luxe d’être logées dans un superbe hôtel face au lac Baïkal, dans une chambre avec la vue sur le lac.
Je vais alors faire mon 2nd mini-entraînement. Le temps est superbe, environ -10°, plein soleil, mais de nouveau un vent glacial. Rien que sortir l’appareil photo et les mains gèlent de suite et le froid pince les cuisses à cause du vent malgré le collant coldwinner. Je crois que demain j’aurai pour mon compte.
Avant de me rendre à la remise des dossards, je consulte la liste des coureurs : environ 130, beaucoup plus que les éditions précédentes. 20 femmes engagées sur le semi contre 5 l’année dernière et 5 sur le marathon contre 2 l’année dernière. Je pense que je peux oublier mes espoirs du podium, Et si ça continue comme ça, bientôt il faudra se prendre pour les inscriptions plusieurs années à l’avance, comme pour le marathon de l’Antarctique.
Cette année, les organisateurs ont crée pour la 1ère fois les catégories par âge : nés avant 1961 : séniors et après 1961 : juniors. C’est très flatteur de me retrouver dans la catégorie « juniors ».
A 17h00 dans la salle de conférence de l’hôtel, le briefing par le directeur du marathon sur les difficultés du parcours et la remise des dossards.. La grande difficulté pour les organisateurs étant de tracer le parcours qui peut être modifié la veille. La zone est hautement séismique et il y a les mini tremblements tous les jours ce qui crée les fissures imprévues et parfois très larges.
1ère difficulté : 1,5 km. au début : neige profonde par endroit et beaucoup de glace non couverte de neige. 2 autres difficultés sont pour les marathoniens.
Km 32 : fissure assez importante dans la glace, présence d’un sauveteur pour aider à cet endroit. Ensuite sur quelques centaines de mètres « pancake ice » des croûtes de glace se forment en surface, très dangereux en cas de chute. Sinon pour le reste pas de difficultés majeurs. Le directeur précise même que les yatrax ne sont pas vraiment nécessaires parce que peu de glace « ouverte » et la neige est damée.
Je fais connaissance avec 2 français et 1 canadien, 2 coureuses russes et Vassily, 63 ans : Forrest Gump russe qui a fait le tour du monde à pied : 40 000 km.
La nuit avant la course est très agitée : d’abord je ne peux pas m’endormir et ensuite je me réveille toutes les heures.
Le matin 3 mars, le rassemblement des coureurs à 8h30 dans le hall de l’hôtel. Les coureurs venus du monde entier : Grande Bretagne, Etats Unis, France, Allemagne, Australie, Chine, Japon, en tout 21 pays.
Dehors le soleil n’est pas encore présent et la température est de -22°, ça ne donne pas vraiment envie de mettre le nez dehors. Vers 9h45 nous nous dirigeons vers la ligne de départ, le soleil commence à réchauffer et il fait environ -15°.
Mon équipement :
pour la tête la cagoule et le bonnet odlo, le corps : 2 couches : maillot coldwinner et la veste akkamak (conçues spécialement pour courir par grand froid) en bas 2 couches : collant fin skin et collant akkamak ; gants windstopper northface.
Le départ est donné environ à 10h00. dans toute cette effervescence j’oublie de démarrer mon Garmin, l’avantage que dans ce désert glacial les satellites sont captées presque de suite. Le départ comme prévu n’est pas évident, il faut faire très attention, les plus rapides sont déjà loin et le long serpent des coureurs se dessine sur la glace..
Mes pulsations sont au plafond pour une petite vitesse, 1er km. à 7,5 km/h, l’excitation du départ, je peine à croire que je suis enfin là, ou le cardio qui déconne, peu importe. Ensuite je « lâche les chevaux » et parviens à faire qqs kms à l’allure marathon (8,5-8,6 km/h) avec le cardio comme à l’allure semi.
La neige et la glace scintillent de mille feux telles les diamants mais avec une telle luminosité ça ne se voit absolument pas sur les photos, ni les vidéos.
Je mets ma cagoule sur le nez mais les lunettes se remplissent de buée (anti-buée pourtant !). Alors j’ai le choix : soit enlever mes lunettes et me péter les yeux, soit baisser la cagoule et respirer de l’air froid. Je choisis la deuxième solution. J’ai bien chaud d’ailleurs.
Pas question de mettre la musique dans les oreilles : je ne veux écouter que ce silence et le crissement de la neige sous les pieds. Une concurrente me talonne pendant quelques km. mais non, je ne céderai ma place, même si le paysage est grandiose, je suis en compétition ici.
Par moments les overcrafts passent sur les côtés, en avançant dès fois « en crabe », les motoneiges et les minibus qui roulent à toute vitesse sur la glace. Le 1er ravito est environ au 8ème km. : eau, thé, noix, fruits secs et les pâtes de fruits absolument délicieuses. Jusqu’au 12ème km. j’arrive à maintenir la vitesse moyenne de 8,0 km/h, ensuite beaucoup moins mes mes puls sont aux alentours de 170, je suis fatiguée, courir sur la neige, même damée, est difficile. Avec la fatigue l’attention doit être permanente pour ne pas glisser ou ne pas buter sur la neige entassée sur les côtés ou au milieu.
Km. 15 2ème ravito : les bénévoles me parlent en anglais, je leur dis qu’ils peuvent me parler en russe
Euh, vous êtes habillée…
Euh, comment ? Comme une étrangère ?
Oui…
Ah ben voilà la meilleure : dans mon propre pays je suis prise pour une étrangère.
Vers le 18ème km. je rattrape 2 hommes qui marchent, dont 1 qui boîte : argh, s’ils sont engagés sur le marathon, ils sont mal, mais au moins ils termineront le semi. Quant à moi, je commence à ressentir une légère douleur à la hanche.
Il est vrai que la difficulté de ce marathon est aussi psychologique : dès le début vous voyez la ligne d’arrivée : la chaîne de montagnes qui paraît à la portée de main mais où que vous soyez : au km. 10, 15 ou au semi, vous avez l’impression d’être au même endroit et l’arrivée ne se rapproche pas d’un yota.
Enfin de loin je vois les overcrafts et les gens minuscules : l’arrivée approche. Vassily (Forrest Gump local) m’attend, m’encourage : bravo ! davaï, davaï ! Il reste 100 m. Fonces !
Je foooonce ! Le jury à l’arrivée annonce et note le temps 2h42 et les poussières (2h43 finalement).
Les marathoniens continuent leur chemin.
Ravito, photos, quelques minutes de récupération et je me pose dans un overcraft. Il y avait la possibilité d’être ramenée en mini bus mais je veux prendre le moyen de transport que je n’ai jamais encore essayé !
En 25 min. environ nous sommes rapatriés à Listvyanka.
A l’hôtel je suis attendue par ma maman et ma cousine qui est venue nous rejoindre. Elles sont mortes de rire : j’ai des traces de lunettes autour des yeux : même ici les coups de soleil me poursuivent !
Douche, un peu de repos, petite promenade avant la cérémonie des récompenses qui débutera à 18h00.
Les discours personnalisés pour ceux qui ont fait le podium. La première féminine, une australienne a bouclé le marathon en 3h45. Elle a un sourire magnifique.
Ensuite ça va beaucoup plus vite mais chacun a droit à la remise de médaille et du diplôme par le directeur du marathon.
- Missis Tatiana Donars !
Quelques mots échangés (par ailleurs je suis déjà fichée ici, le directeur me demande : c’est votre maman qui nous a souvent appelé ?). Je lui dis qu’un jour j’essayerai de revenir sur marathon.
Un jour… Peut être… peut être pas. Ce n’est vraiment pas important, j’ai accompli mon rêve de courir sur mes terres natales, ce lac majestueux et c’était le bonheur à l’état pur. J’ai vécu une aventure extraordinaire.
J’avais 3 objectifs pour ce semi :
- En prendre plein les mirettes
- Le faire tout en courant
- Terminer en moins de 3h00
J'ai rempli les 3!
Le soir repas de récup en compagnie de mes proches avec de l’omoul fumé (poisson qu’on trouve exclusivement dans le lac Baïkal) et la traditionnelle bière et il va sans dire que j’ai dormi avec ma médaille !
Vidéo: